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Les trésors cachés des paroisses de campagne

Culture

10 décembre 2021

On sait que la Bretagne regorge de chapelles et calvaires : pas un hameau sans son édifice ou son saint patron. Mais il est une spécificité locale : les chapelles peintes. À Elven, Surzur, Treffléan, ou Sulniac, les chapelles s’ornent de décors polychromes peints à même les murs. Des trésors fragiles, vestiges miraculeusement préservés, qui méritent le détour hors des sentiers battus.

Scènes colorées de la vie des saints, décors en trompe l’œil, angelots joufflus, pierres et angles de murs ornementés… Quelques chapelles de la campagne d’Elven et des environs affichent la couleur : ces chapelles peintes dévoilent d’étonnantes œuvres aux teintes vives, aux traits naïfs, datant du XVIIe siècle. « C’est comme un livre illustré » commente Jean-Luc Corlay, de l’association des Amis de la chapelle Saint-Clément à Elven. Ce passionné anime des visites guidées l’été* pendant lesquelles il s’inspire des peintures pour dérouler l’histoire du lieu et de ses protagonistes. « Il y a des tableaux peints sur les murs, qui racontent la vie des saints ou des extraits de la Bible à une population qui ne savait pas lire. On voit par exemple la légende de Saint Hubert, celle de Saint Georges, la passion du Christ… Il faut savoir que nous sommes sur les terres de Jean IV de Rieux, tuteur d’Anne de Bretagne qu’il suit à la cour à Amboise. On peut imaginer que certains tableaux s’inspirent d’œuvres célèbres ». La chapelle Saint-Clément s’orne également d’un étonnant décor : « une grande tenture rouge qui s’ouvre comme un rideau de théâtre, surplombant un retable en trompe l’œil, avec colonnes corinthiennes, angelots… On trouve des similitudes à la chapelle Saint Germain et à Saint Roch (Sulniac) ».

DU GRANIT POUR MERCURE

Les chapelles rurales ont souvent été bâties sur d’ancien lieux de cultes païens. Près de la chapelle Saint-Clément à Elven, dans le talus d’un champ, une statue en granit du dieu Mercure a été découverte. Cette statue, très rare, a été authentifiée et daterait de l’époque gallo-romaine, il y a plus de 2000 ans ! Elle est aujourd’hui visible à l’intérieur de la chapelle.

Le retable du pauvre

Les peintures et ornements peints peuvent se classer en trois catégories : les tableaux et cycles peints, les décors géométriques, les retables et les dais. Mais d’où viennent ces peintures ? Quel est leur rôle ? L’explication tient peut-être à la modestie des chapelles concernées : « Nous sommes sur un territoire assez pauvre à cette époque, isolé des secteurs marchands que sont Rochefort-en-Terre, Vannes ou Auray. Et alors que de beaux retables sont réalisés en calcaire ou en bois dans les églises des grandes villes, chez nous ils sont peints en trompe l’œil ». Ces peintures servaient donc à orner les chapelles à moindre coût : « On a peint pour faire comme les autres ». Si les chapelles peintes sont rares aujourd’hui, c’est parce que les restaurations opérées depuis les années 1970 ont préféré rendre les pierres apparentes pour des raisons esthétiques : « Les enduits à la chaux, qui accueillaient les décors, se sont effrités ou ont été enlevés pour mettre les pierres à nu ». Encore une fois, ce qui a permis de sauver les murs des chapelles d’Elven ou de Surzur, c’est le moindre intérêt qui leur a été porté à cette époque… « Reste que ces petits trésors sont vraiment originaux. Certains ont été restaurés et ils méritent d’être vus : quand j’accueille les visiteurs à Saint-Clément, je les incite à aller voir le retable de la chapelle
Saint-Roch. On peut même se créer son propre parcours des chapelles peintes ! »

* Visites guidées avec les Amis de la chapelle Saint-Clément d’Elven : elven.bzh

3 questions à… Diego Mens

Diego Mens, conservateur du patrimoine au Conseil Départemental du Morbihan et auteur d’une étude* sur le sujet.

Pourquoi une telle concentration de chapelles peintes près de Vannes ?

On compte 900 chapelles dans le Morbihan, soit 3 ou 4 par commune. Les chapelles d’Elven, de Trédion, Treffléan et alentours ont échappé aux restaurations de la fin du XXe siècle qui ont détruit beaucoup de décors peints. On a redécouvert ces décors en rénovant les retables : une fois sur
deux, ils cachaient un trompe l’oeil…

De quand datent ces décors ?

Certains remontent au XVIe siècle, comme les décors géométriques d’accompagnement : un faux festonnage de la charpente, des entourages de fenêtres… D’autres datent plutôt du XVIIe comme les retables en trompe l’œil, les fresques et peintures murales. On suppose que ces décors
étaient réalisés par des peintres itinérants, qui reproduisaient ou s’inspiraient d’œuvres connues.

Quel est l’intérêt de préserver ces peintures ?

Elles sont très fragiles et se dégradent facilement. C’est un patrimoine original, témoin de l’histoire. Par exemple, on a souvent en tête l’image de l’église du XIXe siècle, avec ses pierres grises. Pourtant, les églises ont accueilli beaucoup de couleurs, dans un contexte de polychromie des décors,
avec des teintes vives. Aujourd’hui, les comités de chapelles participent à préserver ce patrimoine.
*Étude des Décors en trompe-l’œil du pays d’Elven, Muzillac et Questembert